Pas certain qu’Albert Cohen, s’il revenait, retrouve son « dodu » Beau Rivage Palace intact. L’esprit du lieu, s’il reste à peu près préservé, a changé de nature. Aucun repas, excepté le petit-déjeuner, n’est servi désormais sous la rotonde (qui devrait bientôt être toilettée), et le célèbre bar anglais avec son pianiste noir américain a disparu. Il a laissé la place à une salle à manger très contemporaine, animée par la nouvelle maîtresse de maison, Anne-Sophie Pic, la seule femme chef triplement étoilée au Michelin en France.
Appelée de Valence, cette muse de la cuisine du sud-est, a accepté d’apposer sa griffe, comme pour faire basculer le palace vers une cuisine du XXIe siècle, décomplexée et savante. C’est pourquoi le décor est adapté à sa cuisine minutieuse et innovante : il est épuré, sobre et très sophistiqué en même temps. Bizarrement, son équipe ne communique absolument pas sur cet environnement, ses hauts paravents, ses pans entiers construits en crin de cheval et ses tons chauds, chocolat et cuir. Dans cette atmosphère ouatée, seule la cuisine semble avoir de l’importance, servie par un personnel en partie venu dans les bagages de la cuisinière, comme son second devenu chef de cuisine. Tony, le chef-sommelier de l’hôtel au sourire malicieux est resté pour encadrer les nouveaux venus. Il passe d’une table à l’autre, sa carte sous le bras, comme un poisson dans l’eau. Il faut lui faire confiance pour le choix des vins de la région. Il réserve des surprises aux plus fins des connaisseurs en suggérant par exemple cet exceptionnel blanc du Valais, travaillé en biodynamie. au nez de rhubarbe, signé Marie-Thérèse Chappaz.
Cependant, Anne-Sophie Vic nous le confirme : « J’ai travaillé sur ce projet depuis deux ans et j’ai donné mon avis sur chaque détail de la salle et de la cuisine. Mais je connaissais l’hôtel car j’y avais préparé un repas avant l’obtention de ma troisième étoile. Vous savez, je connais aussi Lausanne depuis mon enfance ; j’adore cette ville. J’y allais avec mes parents, car des cousines de mon père y habitaient et nous leur rendions visite lorsque nous partions vers l’Autriche en vacances. Mon souhait maintenant est de travailler un maximum avec les producteurs et les fournisseurs de la région au rythme des saisons ». Pour Anne-Sophie Pic, modeste de nature, élevée par un père rigoureux qui lui a transmis le goût du terroir et de la cuisine racée, « le luxe est avant tout la simplicité et l’authenticité ». Ce qui se traduit par une carte qui présente un savant mélange entre les produits nobles de sa Provence natale et la création pure, soit l’équivalent de 30 % de nouveautés exclusives pour le palace.
Le maître d’hôtel propose en ouverture « quelques frivolités », dont ces billes de foie gras parfumées à la pomme et à la vanille ou ces morceaux de guimauve à la cacahuète qui jouent sur le registre de la tendresse. Mais il faut absolument goûter la crème brûlée au foie gras de canard des Landes, surmontée d’une chips de Granny Smith. Une référence. Chez Anne-Sophie Pic, les notes d’acidité sont une composante essentielle de sa création. De l’acidulé aussi : la selle et le carré d’agneau de Sisteron, rôtis au sautoir sont accompagnés d’un fromage provençal, un banon entouré d’une chapelure d’oignon doux qui lorsqu’on le coupe, coule aussitôt, et qu’il faut manger avec un « acidulé de riquette (sic) », des câpres et des olives noires. Un régal d‘une belle générosité. Outre le turbot côtier aux textures de navets à l’arabica, son bar de ligne de l’Ile d’Yeu cuit à la vapeur, est exceptionnel, relevé par des pointes d’asperges vertes et d’un beurre monté à l’anis vert. On est loin des poissons du lac car Anne-Sophie Pic touche à l’universel avec un choix de produits de la mer et de la terre qui dépasse le régionalisme.
Émane de ces compositions une sorte de grâce aérienne comme si elle avait atteint des sommets de légèreté et de pureté. Ses assiettes composées sont toutes d’une composition recherchée. « Je pense, nous chuchote Anne-Sophie Pic, que la gastronomie attire les autres mondes de l’art. C’est pourquoi la présentation fait partie de la la création ». D’où le choix des maisons raffinées comme Coquet, Raynaud, Baccarat et Riedel pour les porcelaines et les verres. Chaque création est ainsi mise en valeur : comme Alain Ducasse, Anne-Sophie Pic annonce le produit avant l’intitulé du plat lui-même : l’asperge de Mallemort et le caviar d’Aquitaine, l’œuf de poule de la ferme de Frenières, les cuisses de grenouilles de Vallorbe, le thon rouge de Méditerranée, le ris de veau du Simmental, etc. Une façon d’éclairer le gourmand venu déguster du sublime. Forcément sublime….
Beau Rivage Palace
www.brp.ch
Tél : (00 41) 21 613 33 33
Restaurant ouvert tous les jours.
Anne-Sophie Pic s’installe au Beau Rivage Palace de Lausanne
La chef de Valence se partage désormais entre Valence et Lausanne proposant une cuisine d’invention et de fraîcheur.

Voir plus : restaurant, Suisse
Article publié le 28 juillet 2009
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