Pourquoi l’être humain a-t-il besoin du végétal ?
Regards croisés d’un chercheur, d’un architecte, d’un designer, d’un scénographe, d’un artiste et d’un jardinier…
Le chercheur : Eric Lambin
La défense de l’environnement serait-elle le meilleur moyen d’être heureux ? C’est en tout cas le parti pris qu’Eric Lambin, géographe et professeur des universités de Stanford en Californie et de Louvain en Belgique, développe dans son livre « Une écologie du bonheur ».
Eric Lambin met en évidence notre besoin, non seulement inné, mais génétique de lien avec la nature. C’est que ce lien persiste même si en tant qu’urbain ce besoin n’est pas conscient. Pourquoi éprouvons-nous un tel plaisir à cueillir des fraises dans les bois, pourquoi avons-nous plus peur de serpents que des voitures, bien plus mortelles dans notre environnement ? La réponse est la « biophilie », ce profond besoin biologique de s’intégrer dans la nature et qui persiste dans nos gènes depuis le paléolithique. Le père de la biophilie, Edward Wilson, a développé dans les années 80 neuf types de liens avec la nature : utilitaire, naturaliste, scientifique, esthétique, symbolique, humaniste, éthique, dominatrice, négativiste. Eric Lambin les réactualise pour les mettre en perspective avec la prise de conscience écologique actuelle. Et si nous renouions avec la nature de façon plus consciente ?
L’architecte : Edouard François
Architecte, paysagiste et urbaniste formé aux Beaux-Arts et aux Ponts et Chaussées, Edouard François intègre le végétal dès les 1e esquisses de ses projets. 2011 est son année : il est élu « International Fellow » du Royal Institute of British Architects pour sa contribution déterminante à la « green architecture » et « créateur de l’année » au salon Maison & Objet.
« Nous avons changé d’époque. L’ancienne était caractérisée par l’international, l’hygiène, l’éternité, le futur et l’abstraction. Avec la crise économique, nous vivons un basculement vers des problématiques environnementales et humaines, autour d’une nouvelle icône, la nature, et d’une couleur de référence, le vert. C’est une révolution. Et voir les débuts d’une révolution, c’est extraordinaire. Car rien n’a été fait, tout est à faire !
L’émotion prime sur la proportion
Une nouvelle discipline, qui n’existait pas dans le courant moderne, prend une place capitale : la cuisine. Avec elle, toutes les problématiques de notre époque se jouent, liées à la saisonnalité, au régional, aux paysages, à l’écologie… En cuisine, comme en architecture, les matériaux doivent être assemblés d’une certaine manière, selon des problématiques de goût et non de proportion. Ce registre, qui est de l’ordre de l’émotion, est totalement nouveau en architecture car ce qui primait jusqu’ici était de l’ordre de la proportion, telle que définie par Le Corbusier. Lorsqu’on construit un bâtiment, il s’agit désormais de s’interroger sur le contexte dans lequel il s’inscrit. Ainsi, s’agissant d’un édifice public, celui-ci doit suggérer l’autorité et être pensé comme tel. L’attitude est devenue plus importante que la forme. »

©DR
Le designer : Mathieu Lehanneur
Diplômé de l’Ensci, Mathieu Lehanneur s’est fait connaître dès son premier travail sur l’amélioration de la prise médicamenteuse et la proposition de nouvelles gestuelles et protocoles. Depuis, il explore le rapport entre l’homme et ses objets en proposant à chaque fois des solutions inédites, utiles et sensibles.
« Récemment, les urbanistes et les architectes ont pris conscience qu'ils avaient eu tendance à gommer toute trace de nature dans leurs programmes et leurs aménagements. Comme si la ville était la marque victorieuse de l'homme sur la nature. Les choses ont évolué et la nature reprend progressivement une place dans l'univers urbain. L'émergence progressive du végétal dans nos lieux vies domestiques ou professionnels est une nécessité : celle de se connecter, même quelques secondes, avec la nature.
Le végétal pensé comme une fonction
Lorsque j'utilise le végétal pour des projets de design ou d'architecture intérieure, c'est toujours pour une fonction bien précise : filtration de l'air, humidificateur naturel, absorbeur de bruit... Ce choix intervient donc très tôt dans le processus de conception. Pour l'aménagement du siège social de l'agence de publicité JWT, je voulais installer un juke-box numérique. Je me suis posé la question du végétal et le juke-box est devenu une énorme plante qui, connectée à des capteurs, est l'interface principale du juke-box. »

©Véronique Huyghes
Le scénographe : Alexis Tricoire
Designer et scénographe, diplômé en arts décoratifs (Ensad) et en architecture (Art Institute of Chicago), Alexis Tricoire crée le studio Tricoiredesign puis, après avoir développé ses connaissances dans l’univers végétal aux côtés du botaniste chercheur Patrick Blanc, Vegetal Atmosphere®, studio-laboratoire de design végétal où il réalise des scénographies architecturales, des mobiliers et objets pour l’outdoor et l’indoor.
« La scénographie permet de créer des atmosphères étonnantes, surprenantes, pour développer des émotions.
Travailler le contenant
Le support est très important car il a une incidence sur le comportement des plantes. Ma double casquette de scénographe - designer me permet d’inventer de nouveaux contenants pour lesquels j’essaye de privilégier l’économie de moyens pour un maximum d’effets. Je travaille beaucoup avec les matériaux naturels recyclés, tel que le Pevetex (caoutchouc recyclé), et les matériaux technologiques recyclables (plastique, aluminium, métal et verre).
Intégrer le temps
La notion de temps est fondamentale lorsque l’on veut faire pousser la nature. S’agit-il d’un événement d’un soir, d’une exposition d’un mois ou d’un aménagement durable de bureaux ? Selon l’option, on fait appel à des technologies différentes. Ainsi, au-delà de 5 jours, il faut mettre en place des systèmes d’irrigation autonomes ou des protocoles d’entretien adaptés.
Avoir une volonté forte
Je sens un réel engouement des entreprises et espaces commerciaux pour le végétal, créateur de bien-être et de lien social. Mais cela demande de la patience et une volonté forte de la Direction de s’impliquer. C’est pourquoi ceux qui passent à l’acte sont encore des pionniers… »

©DR
L’artiste : Stefano Poletti
Styliste formé à l’Institut Marangoni à Milan, Stefano Poletti poursuit ses études au Studio Berçot à Paris. Il collabore avec les créateurs de mode, de couture, de design et lance sa ligne de bijoux. Sa collection « Botanicus », constituée de sphères de verre soufflé et de fils d’argent contenant de l’eau et une pousse de lierre, est emblématique de sa démarche tournée, avant l’heure, vers le végétal.
« Le végétal est de plus en plus présent dans la ville. Il est loin le temps où j’étais un hors la loi parce qu’il était interdit de mettre des fleurs aux fenêtres... Le végétal est pour moi un besoin vital et l’intérêt grandissant pour l’écologie favorise mon bien-être. La présence de la végétation me semble être également plus importante dans les entreprises.
Humaniser des espaces froids
Le végétal apporte un élément vivant dans des espaces souvent plutôt “froids”. Il joue un rôle essentiel car il permet à tout instant de poser le regard sur du “vert”, ce qui est apaisant, et au-delà, il offre de s’occuper d’une plante verte ou fleurie, ce qui nous garde en contact avec une nature dont nous faisons partie.
Une source d’inspiration
Omniprésente dans mes créations, la nature est depuis toujours une source d’inspiration, que ce soit par les formes, les couleurs, les textures... Souvent la texture d’un matériau excite ma curiosité, puis viennent la couleur, le parfum. La plupart de mes collections y prennent leur source et mettent en scène des fleurs champêtres en été, des feuillages et des baies en automne, des végétaux givrés en hiver que je réinterprète en utilisant des matériaux naturels tels que le verre, le métal, le bois. »

©DR
Le jardinier : Roland Motte
Jardinier et auteur de livres sur les plantes et végétaux, Roland Motte a créé en 2003 Les Jardins de la Terre à Vittel, dans les Vosges. Situés au-dessus des nappes phréatiques, ces jardins sont cultivés sans apport de produits chimiques ou biologiques.
« Cela fait 30 ans que je fais des jardins et ils ont considérablement évolué. Du « jardin propre », pratique, sans diversité, on est passé au « jardin plaisir », en partie parce qu’on est venu y vivre. En effet, progressivement, avec l’apparition des barbecues, des cuisines d’extérieur et des mobiliers, l’envie de faire de beaux jardins s’est combinée avec la conscience écologique. Les jardins se sont enrichis de nouvelles plantes et de potagers, à la fois esthétiques et vivriers. Les intérieurs ont renoué également avec le végétal, avec une nouvelle approche de la verticalité, adaptée au manque de place.
L’enjeu de la biodiversité
Avec « « Les Jardins de la Terre », l’aventure se joue en multipliant les espèces de plantes, en utilisant les insectes auxiliaires comme la coccinelle ou encore en associant les plantes entre elles pour limiter les maladies et éloigner les insectes ravageurs. Car plus l’équilibre est stable, plus les populations sont équilibrées. Il s’agit également de choisir les plantes les mieux adaptées à la température et au sol de la région. Il ne faut pas contrarier la nature ! Il faut également faire des expériences, tenter des choses. Car le jardin n’est pas une science, mais un plaisir… »
Fiche technique :
Edouard François : www.edouardfrancois.com
Eric Lambin : « Une écologie du bonheur » - Ed. Le Pommier
Mathieu Lehanneur : www.mathieulehanneur.fr
Roland Motte : www.rolandmotte.fr
Stefano Poletti : www.stefanopoletti.fr
Alexis Tricoire : www. vegetal-atmosphere.fr
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