La route du papier

A Trélazé, en Anjou, (Maine-et-Loire) près d'Angers, dans une" halle aux allumettes" ayant appartenu à la Seita, le couple franco-japonais, Jean-Michel Letellier et Miki Nakamura, s'est installé un atelier-maison où ils conçoivent à la main, à partir de feuilles de papier, d'authentiques sculptures en deux dimensions.

Installation de 180 méduses restaurant Bayview, Hôtel du Président Wilson, Genève

Les deux artistes fabriquent eux-mêmes leur papier. En suivant un minutieux processus de transformation de la matière première, la fibre de  mûrier à papier. Une fois cuite, blanchie et battue, cette fibre forme une pâte. Un tamis, un instrument à eau et un savoir-faire acquis auprès de personnalités japonaises de renom, ont fait le reste. Après séchage, le papier ne pèse que 30 à 40 g au m². Détails et impuretés sont scrutés avec la plus grande attention, car il s'agit de sortir de la cuve la masse visqueuse de la feuille de  papier sans la déchirer, sans que les fibres se déplacent. Jean-Michel et Miki réinventent un art où le papier devient dentelle, œuvre d'art et objet de décoration.

Le tout est dans l'art de l'eau. On ne peut jamais prévoir à cent pour cent où elle va couler, où vont se fixer les couleurs, ni où les gouttes d'eau vont éclater comme des petits météores sur la pâte à papier, affirment les créateurs. À l'occasion du 19 ème Festival International des jardins de Chaumont-sur-Loire*, dont le thème 2010 était : Jardins "corps et âme", on a pu découvrir l'étonnant "Jardin en Papier" de Jean-Michel Letellier et Miki Nakamura. Si le Japon est le pays du papier, celui-ci permet de correspondre avec les Dieux selon une coutume ancestrale appelée Kamitsubute, qui consiste à prendre un petit bout de papier dans la bouche, à le mâcher, puis à le recracher sur une statue de pierre dans le jardin d'un temple. Plus la boulette de papier reste collée haut, et plus l'avenir sera heureux et prospère ! En japonais Kami signifie papier et Dieu à la fois. Partant de cette relation entre le corps et l'esprit, notre couple d'artistes, ensemble avec deux architectes, ont imaginé un jardin dont les allées forment l'idéogramme de l'âme, le Tamashi. Le jardin offre la découverte des œuvres en papier réalisées avec l'écorce de mûrier. Seuls les végétaux utilisés pour la fabrication du papier ont été sélectionnés (bambous, chanvre, graminées, peuplier, papyrus).  L'absence de fleurs concourt à accentuer l'effet vibratoire provoqué par les feuilles et leurs nuances.

L'Asie est école de patience, on le sait. Ainsi, Jean-Michel Letellier, après avoir créé en 1992 la boutique de papiers fait main avec Ana Barth pour Calligrane (Paris), va décider en 1997 de partir à la découverte du Japon avec la ferme intention d'apprendre à le fabriquer tout seul. Après deux mois passés dans un atelier il monte un dossier pour intégrer la Villa Kujoyama (l’équivalent de la Villa Médicis)  et continue sur parcours du papier comme designer pour la société Lama Li, au Népal et en Inde, pendant deux années. En 1999, la chance lui sourit et il se retrouve lauréat à Kyoto et trouve enfin l'atelier qui l'aide à trouver sa voie d'expression graphique: « je revisite l'idée de la feuille jusqu'à la concevoir comme une sculpture en deux dimensions, alternant la matière avec le vide. Ce n'est que quelques années plus tard et inspiré par les célèbres cloisons japonaises, grâce à la collaboration de Miki, ma femme, que j'ai eu l'idée d'insérer le papier dans le verre pour le protéger ou de l'inclure dans la résine acrylique pour pouvoir l'éclairer par des diodes. En développant ce concept j'ai inventé une application pour l'architecture: des parois translucides contemporaines dont l'âme est en papier ». Miki Nakamura, est issue de l'École des Beaux-Arts d'Osaka en 1997 ; elle a une spécialisation en architecture lumière qui l'a conduite à étudier les potentialités du papier pendant trois années dans les ateliers de fabrication de papier Fujimori sur l'île de Shikoku (Japon). C'est ici que les deux créateurs se sont rencontrés. Ils feront  un séjour de neuf mois en Chine, dans la région berceau du papier à  Hang Zhou.Après quelques séjours dans d'autres pays d'Asie, mais c'est dans l'Hexagone qu'ils s’installent. Elle expose ses travaux en France depuis 2004 et sera présente  avec Jean-Michel à Chaumount-sur-Loire et a été sélectionnée avec ses volumes pour un circuit de six chapelles investies par des artistes au sud de la Loire entre Bouchemaine et Trélazé du 24 juin au 15 Août 2010, l'Art dans les Chapelles en Anjou *. 

« J'utilise le liber de l'arbre, la partie située entre l'écorce verte et le cœur. C'est le réseau des canaux empruntés par la sève, la partie vivante de l'arbre qui permet à celui-ci de croître. Mon travail met en évidence ce réseau qui devient la trame structurelle de mes créations. » Pour Jean-Michel, il faut bien distinguer l'artisanat du papier et l'artisanat d'art. Le premier de fabrication traditionnelle a attrait aux beaux papiers à dessin, écriture, peinture, papier à lettres et est fabriqué par des artisans dans quelques moulins en France. Quant au papier-matière, artisanat d'art comme la céramique ou le verre, il n'a guère de reconnaissance spécifique en France, contrairement au Japon où les quelques artistes du papier sont intégrés à l'art textile alors que dans les pays anglo-saxons on parle plutôt de « fiber artist ». Selon, Jean-Michel: « le prix à payer c'est un travail quotidien surtout comme autodidacte pour arriver à une reconnaissance au niveau des institutions comme la Drac*. La seule manière d'être présent dans des expositions reconnues comme le Festival de Chaumont-sur-Loire, avoir des titres comme lauréat de la Villa Kujoyama et être représenté par une galerie comme Nathalie Béreau à Chinon ». Installés à Trélazé, sur le site des allumettes, usine construite par la Seita dans les années 30 et l'une des plus grandes de France avec plus de 150 salariés, les grumes (arbres) y arrivaient entiers et ressortaient en boîtes d'allumettes. Avec l'arrivée du briquet Bic, en 1973, l'entreprise cessa toute activité quelques années plus tard. Rachetés par un privé, les bâtiments de 22 000 m² répartis sur 6 hectares furent loués à des artisans et à toute une pépinière d'artistes qui s'y installèrent. Faute de moyens et de vision politique, ce site exceptionnel, classé au patrimoine industriel par la Drac en 2009, a été racheté par un promoteur de logements sociaux qui veut en créer 400, en plus des ateliers d'artistes existants, une halle verra le jour aménagée avec 7 ateliers dont 3 avec logement.

« Notre idée de travailler à la maison avec Miki, fait partie de toute cette différence d'aujourd'hui qui réside dans le sur-mesure. En développant l'idée des cloisons japonaises  et  en y intégrant le papier, on a imaginé toutes les fantastiques possibilités d'utilisation que ce matériau offrait à la décoration d'intérieur. Comme le papier n'est pas pérenne, en l'associant au verre avec l'entreprise de résine acrylique Dacryl, nous avons commencé à produire des panneaux qui permettent d'être éclairés par la tranche avec des Leds de forte puissance, des panneaux éclairés, à la fois éclairants sur trois mètres de hauteur ».

Associer le végétal, le minéral et l'artisanat à l'industrie, telle est le dernier pari des créateurs.

LETELLIER-NAKAMURA
Jean-Michel Letellier +Miki Nakamura
243, rue Jean Jaurès 49800 Trélazé
www.translucides.fr
+33 (0)6 1025 1011

On peut apprécier et acheter les œuvres de ces artistes en exposition chez:

Nadine Gallery
12, rue d'Alger, 75001 Paris
Tél : 01 47 03 49 75 /06 61 59 07 40

*Drac  -Directions régionale des affaires culturelles     

www.dracinfo-champagne-ardenne.org/

*www.artechapelles.free.fr

Article publié le 26 juillet 2011

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