Tout le monde connaît votre agence et lorsqu’on voit l’étendue de vos activités, on pourrait croire que vous touchez à tout. Pouvez-vous nous éclairer?
Olivier Saguez : Par mon éducation, je m’intéresse à tout ce qui m’entoure et je suis boulimique de connaissance. Je ne pense pas toucher à tout, mais pour être bon il faut savoir faire plusieurs choses. Il ne faut pas s’atrophier, vivre en autarcie. Saguez, ce n’est pas un seul homme, c’est une équipe forte à qui j’ai transmis mes acquis. J’ai une formation en histoire de l’art, j’ai fait l’école Boule. Pour moi, l’idée est plus importante que la maîtrise technique. Par exemple, j’ai eu mon concours d’architecture sans dessiner. J’ai su le décrire sans un coup de crayon. Je l’ai raconté, sûrement par provocation car je savais très bien dessiner. J’ai toujours été structuré par les idées et les concepts forts, au carrefour de la philosophie, de la sociologie et du bon sens. J’ai eu de bonnes références comme Jean Prouvé en professeur, Raymond Loewy et Philippe Michel, publicitaire. Mon parcours a beaucoup influencé mes décisions et ma vie. J’ai travaillé chez Raymond Loewy qui à son époque était « Le Cabinet International ». J’y ai tout de suite exercé un autre métier que celui de l’architecture. J’ai appris le packaging, le design produit, le graphisme… le design global somme toute. A l’époque, pour un projet pétrolier, on travaillait sur la marque, les pompes à essence, les bidons, le logo, l’architecture. Je me suis mis aussitôt au graphisme et j’ai adoré. Je suis revenu bien après à l’architecture. Dans ma tête, je suis très Le Corbusier qui était un homme multiple : peintre, architecte, écrivain, philosophe, coloriste, paysagiste, entre autres.

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Quelle sont vos projets et votre philosophie, comment envisagez-vous votre agence demain ?
OS : J’ai toujours exercé des métiers différents ; si j’avais pu faire une école de paysagiste, je l’aurais faite car c’est un métier connexe. Le design de demain, ce sera des gens transversaux, pluridisciplinaires comme au XVIIIème siècle. Poète, botaniste et scientifique, avec cette dimension dans les arts appliqués à l’industrie. Dans les années à venir, je vais encore plus me diversifier, faire du design produit pur. Et là je flirte avec bonheur avec le paysage. Le web et les nouvelles technologies numériques m’attirent aussi, d’ailleurs dans l’agence nous avons un pôle informatique.

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Le danger est d’être cantonné dans une case comme un spécialiste. Je ne dis pas qu’il ne faut pas maîtriser une spécialité, mais il faut une réflexion globale, répondre aux besoins des gens et s’ouvrir. Je suis ouvert aux nouvelles écoles d’Eindhoven ou Ensci qui sont entre le ministère de la culture et de l’industrie. Je vais en Chine donner des cours et des conférences dans une école qui ressemble à la manufacture. Une école transversale qui donne des cours de marketing, d’ingénierie, de paysagistes… Je favorise toujours les rencontres pour satisfaire ma boulimie de nouveautés. Depuis 2 ans, l’agence travaille avec des architectes de lumière, pas seulement pour faire du bon travail, mais aussi pour apprendre. Innover, c’est la clef de tout.

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Je ne suis pas une personne mais une agence de 115 personnes, en perpétuelles ouvertures, qui mixent techniques et savoirs. On doit toujours améliorer nos projets. La base de tout n’est pas seulement la réflexion mais la solution. On doit s’ouvrir à d’autres et ne pas travailler en solo. C’est ma culture ! Je me suis toujours demandé, en architecture commerciale par exemple, « qu’est ce que je peux apporter, quelle utilité ? ». Il faut savoir raconter une histoire et la plus crédible possible, celle d’un savoir-faire. Dans tous les projets, la partie réflexion (le fil rouge), qui dure plusieurs mois, ne cesse de mûrir durant toute la réalisation. J’ai la chance d’avoir une équipe pluridisciplinaire avec des talents complémentaires et une vision transversale. Ils transmettent ce que j’ai pu leur apprendre aux nouvelles recrues. On arrive à la 3ème génération de transmission. C’est magnifique, d’autant plus que je ne suis pas pour la succession de droit divin. Mes trois fils ont pris des voies différentes (droit, stratégie et arts). Avec mes collaborateurs devenus associés, j’envisage de créer une Manufacture d’ici 2015, ce sera une école phalanstère. Nous ferons notamment des formations de directeurs transversaux. J’imagine plus Partners & Saguez avec une transmission de savoirs, un important centre de recherche sur le métier du design, paysagiste… et plus ouvert vers l’extérieur. Une classe de design « master class », un café design comme un lieu de philo qui réunira des talents en amont et en aval. On reviendra à des solutions concrètes, des solutions d’ingénieurs. Le métier sera revu. Je veux m’occuper de la transmission sociale. C’est pour cela que j’agis déjà auprès de la mairie de Saint-Ouen. Il est important par exemple de s’occuper des jeunes qui errent dans les rues, de leur montrer un métier et de les prendre 6 mois en stage.

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Ma philosophie ? C’est la fondation des arts appliqués à l’industrie, mettre du beau dans l’utile. Le mot utile est un mot qui m’est cher. Petits, mes enfants ne comprenaient pas mon métier de designer. Quelle place a un designer dans la reconstruction après un tsunami ? L’art n’a pas d’utilité fonctionnelle mais émotionnelle. Mon métier c’est de trouver des solutions et d’améliorer la vie. C’est plus sympa de découvrir des poubelles en Hollande qui font bravo quand on jette quelque chose, cela incite à être plus propre. Pendant 20 ans, on est resté dans l’emballage, le packaging, l’image. Les problèmes n’étaient pas résolus, on les rendait visibles. Nos vies ont changé ainsi que les comportements. C’est encore la mode de faire des logos ou de cogiter sur la couleur d’une voiture au lieu de réfléchir pour qu’elle prenne moins de place dans la rue pour 30 minutes d’utilisation par jour. Il faut une réflexion de fond. Le design n’est pas là pour faire joli, il doit résoudre de vrais sujets, donner une solution pratique de confort et de coût. Actuellement je travaille sur le S4 de l’aéroport de Roissy pour 2014. Ma préoccupation est de faire un espace de commerce représentatif de Paris, de voir les avions, de donner de l’oxygène pendant une attente, de faire des sièges confortables, beaux, de porter une attention particulière aux sanitaires. Il fallait faire un projet contemporain avec les matériaux et les technologies de demain.

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Quels sont vos projets à l’étranger ?
OS : Saguez & Partners est la deuxième agence en architecture commerciale derrière Chapman Taylor. Nos projets internationaux représentent 30% de nos marchés. Nous n’avons pas prospecté, les gens nous connaissaient pour les Galeries Lafayette et d’autres réalisations. Ce fut du bouche à oreille, puis une succession de rencontres ; et cet art de vivre à la Française qui nous a ouvert des portes. Nous avons eu des projets de centres commerciaux comme au Chili et à Pékin, respectivement 5 000 et 8 000m2.
Là, nous venons d’inaugurer notre agence à San Paolo, au Brésil, car j’adore ce pays, ni européen, ni américain, à la culture forte, dynamique. Bientôt, nous nous implanterons aussi en Suisse. J’ai des affinités avec ce côté protestant, ingénieur architecte, avec leur graphisme, d’ailleurs on fait les 1000 corners de Nespresso, et je collabore avec le groupe Manor depuis longtemps (Aigle et Lacoste…). Par la suite, j’imagine aussi en Allemagne. Pour la Chine, cela se concrétisera en 2013 ; j’ai rencontré un chinois qui a étudié l’architecture en Suisse, travaillé aux Etats-Unis, et qui installe en Chine une école pour transmettre son savoir.

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Comment aimeriez-vous être perçu par vos proches, vos collaborateurs et par l’extérieur ?
OS : Comme celui qui apporte des solutions et qui rend service. J’ai un côté « social démocrate » nordique. Les avis des enfants, des chauffeurs de taxi, des concierges et des personnes âgées comptent beaucoup. Un enfant a un regard d’acuité, les séniors sont intraitables. Je suis fier quand dans un magasin on me remercie d’avoir fait un lieu de travail beau, pratique et confortable, et que les salariés en sont ravis parce que je n’ai omis aucun détail (vestiaire, réfectoire…).
Fiche technique
Saguez & Partners
La Manufacture
14, rue Palouzié
93400 Saint-Ouen
Tél. :01 41 66 64 00
www.saguez-and-partners.com
Projets réalisés :
Lafayette Maison
BHV Homme
Peugeot Avenue
Foncier Home
Nespresso
Yves Rocher
Campus Microsoft
Unibail-Rodamco
Morgan, flag-ship Champs-Elysées
Parly 2
Le Nouveau Monde, hôtel Saint-Malo
Z Plaza, Pékin
Aéroville, premier centre commercial en zone aéroportuaire
Forum des Halles (2014)

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