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Francis Blaise : Quelle est la création dont vous êtes le plus fier ?
Pierre Paulin : De tous mes enfants et petits-enfants. Mais j’ai une petite préférence pour mon fauteuil mushroom.
FB : Celle que vous rêvez de faire ?
PP : La synthèse de tous les sujets traités, pousser la réflexion sur un de mes projets inaboutis et le faire advenir ; notamment ce projet qui date des années 1970 et qui me paraît correspondre seulement à une attente aujourd’hui. Une sorte de mobilier en kit qui permet de concevoir son espace et sa décoration à sa guise.
FB : Le grand public vous connaît surtout pour avoir fait entrer pour la première fois le design au Palais de l’Elysée à la demande du président et Madame Pompidou. Mais avant qu’aviez vous fait ?
PP : Avant l’Elysée, j’ai travaillé pour le Musée du Louvre (Banquette des salles d’exposition entre autres), pour Roche Bobois, j’ai aménagé de nombreux stands dans de grandes manifestations internationales. J’ai participé aux expositions des Arts Ménager, au Salon des artistes décorateurs de l’époque. J’étais finalement plus connu à l’étranger qu 'en France.
FB : Vous êtes plutôt un homme de gauche, alors comment est-on venu vous chercher pour faire l’aménagement d’un président de droite ?
PP : Jean Coural, l’administrateur général du Mobilier National de l’époque, après avoir regarder de nombreuses revues de décoration françaises et étrangères a choisi plusieurs personnes dont moi. J’ai été très heureux d’être retenu.
FB : Comment s’est passé votre collaboration avec le Mobilier National ?
PP : Ce fut une collaboration exemplaire, sur un terrain très difficile, mais les équipes de l’atelier de création ont été formidables et le sont toujours d’ailleurs. Nous avons tout de même fait appel à des entreprises extérieures et dans un contexte délicat, nous avons mené ce chantier à bien.
FB : Justement, parlez- moi de ce chantier qui fut un véritable bouleversement des décors présidentiels…
PP : Comme vous le savez le Palais de l’Elysée est un lieu classé. D’autre part le président Pompidou ne voulait aucun bruit car comme il le disait « L’Elysée est un lieu de travail et non de villégiature ».
Quand je suis rentré pour la première fois rue du Faubourg saint Honoré, cela m’a paru assez sale et sans véritable style même si le mobilier était de grande qualité. Je ne pouvais pas envisager mes créations dans ce décor. J’ai dû d’abord concevoir une ambiance pour les accueillir. Comme il était formellement interdit de toucher aux murs, j’ai considéré cela comme un cahier des charges . J’ai imaginé une structure amovible à la manière des igloos mais réalisée à partir de gros tubes de métal courbe qui se rejoignaient au plafond qui m’ont servi de base pour tendre du tissu. Parfois les murs se terminaient par des sièges banquettes. C’était non seulement révolutionnaire pour l’époque mais aussi pour l’Elysée qui changeait totalement d’atmosphère.
FB : Avez vous entretenu des liens privilégiés avec le président Pompidou ou d’autres ?
PP : Bien entendu, j’ai rencontré le président tout comme François Mitterrand , pour qui j’ai travaillé plus tard. Mais à l’exception de Madame Pompidou, j’ai eu très peu de liens mis à part un ou deux dîners. Pour Claude Pompidou, j’ai aménagé son bureau à la fondation et nous sommes restés en relation toutes ces années. Nous avions tenté de réhabiliter les deux salons démontés en 1974 et « massacrés » à Pierrefonds, mais son départ a rendu cela presque impossible. C’est vraiment dommage !
FB : Ce gigantesque chantier vous en a-t-il apporté d’autres ?
PP : Non, car les gens de gauche me considéraient comme un « traître » et les gens de droite trouvaient que j’étais trop cher. (rires) J’ai tout de même réalisé quelques meubles pour François Mitterrand qu’il a beaucoup appréciés.
FB : Avez-vous le sentiment d’avoir été en avance sur votre époque et d’être seulement vraiment reconnu aujourd’hui ?
PP : Je crois avoir été de mon époque, peu m’ont apprécié à mes débuts, mais j’ai toujours de vrais amateurs sensibles à un nouveau mode d’expression. Aujourd’hui, je suis heureux de voir que de très jeunes gens aiment mon travail et ont envie de vivre dans mes meubles. Ce n’est pas une reconnaissance, c’est simplement mes productions qui suivent le cours des choses, c’est tout !
FB : Quel regard portez-vous sur la création d’aujourd’hui ?
PP : Vous savez, je n’aime pas utiliser le mot de création. Il y a aujourd’hui des avancées technologiques formidables, dans les nanotechnologies, des problèmes liés à l’environnement et à la préservation de notre univers qui vont forcément susciter de nouvelles passions.
L’informatique connaît des développements incroyables qui inventent un autre monde.
FB : Quels sont les designers que vous trouvez vraiment innovants ? Aujourd’hui, hier ?
PP : Hier et pour tout le XXéme siécle dans le domaine particulier du mobilier la palme revient à Ray et Charles Eames. Aujourd’hui je ne sais pas. Les normes qui sont imposées à tous les produits rendent les choses très similaires, comme dans l’automobile, les technologies évoluent considérablement, mais je n’ai pas l’impression que cela fasse encore beaucoup bouger du côté du design.
FB : Avez-vous des regrets ?
PP : Oui, au moins deux. Tout d’abord, de ne pas avoir réalisé certains de mes projets, dont celui d’Hermann Miller dont on peut voir la maquette au centre Georges Pompidou. Il s’agit de ce nouveau concept de meubles dont je vous ai déjà parlé et qui permet d’appréhender son espace différemment. Celui aussi de n’avoir pas pu construire la maison de mes rêves dans les Cévennes et d’avoir été contraint de faire une maison traditionnelle.
FB : Quelle image aimeriez-vous qu’on garde de vous ?
PP : Celle de quelqu’un qui s’est efforcé de faire correctement son métier
FB : Avez vous une devise ?
PP : Je dessine à dessein.
Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.
FB : Vous avez 80 ans, quels effets vous produisent tous ces hommages ?
PP : Je suis satisfait.
Pierre Paulin, suite de l'interview
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Cet article fait partie du dossier Pierre Paulin
Article publié le 28 juin 2009
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